La première école d’été sur les objectifs fixés par les Nations Unies a insisté, entre autres, sur le besoin d’acquérir plus de données sur l’état de la planète et des populations qui y vivent.
Eliminer la faim et assurer la sécurité alimentaire mondiale. Permettre à tous de vivre en bonne santé. Garantir l’accès à l’eau et à l’assainissement. Conserver et exploiter de manière durable les écosystèmes aquatiques… Ces quelques extraits de la liste des 17 Objectifs du développement durable (ODD), adoptés en septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies, montrent l’ambition de ce programme international. La bonne volonté ne suffira pas: il s’agit de développer la science et la technologie pour les atteindre.
Pour aider chercheurs et décideurs à y voir plus clair, l’Institut de recherche pour le développement et Aix-Marseille Université ont organisé à Marseille, du 8 au 13 juillet dernier, la première Ecole d’été sur les ODD. Deux lignes de force se dégagent des présentations et des débats. D’abord, pour préserver la planète et les populations qui y vivent, nous devons acquérir plus de connaissances sur son état actuel. Ensuite, l’application des résultats de la recherche ne peut pas se passer d’une prise en compte, au cas par cas, des contextes locaux.
L’innovation, clé des objectifs du développement durable
Elément central de l’Agenda 2030 de l’ONU, carnet de route pour les quinze prochaines années, les ODD résultent d’une synthèse. D’une part, depuis les années 1960, l’ONU avait fixé des objectifs «de développement» visant à améliorer les conditions de vie des populations. D’autre part, les objectifs de «durabilité» montaient sur l’échelle des préoccupations internationales, depuis notamment le Sommet de la Terre de Rio en 1992.
Outre ceux évoqués en introduction, plusieurs autres ODD nécessiteront à l’évidence des développements scientifiques et technologiques. Ainsi, l’accès pour tous à une énergie propre et peu coûteuse; la promotion d’une industrialisation durable; des villes et des communautés durables; la lutte contre le changement climatique; ou encore la préservation des écosystèmes terrestres.
Plus généralement, les 169 «cibles» qui détaillent les ODD nécessiteront presque toutes des innovations. Innovations techniques, bien sûr, mais aussi économiques (notamment pour inventer les mécanismes de financement, voir ci-dessous) et sociales.
Cruel manque de données
Le premier impératif pour les scientifiques est de mieux connaître aujourd’hui l’état de la planète. Comment, sinon, mesurer les améliorations visées par les ODD? Or, on manque considérablement de données, surtout dans les pays du Sud.
Ainsi, explique Isabella Annesi-Maesano, de l’Inserm, à Paris, pour mesurer la pollution aérienne en Méditerranée, la Commission européenne a financé de 2011 à 2013 le programme Med-Particles. Mais celui-ci ne concernait que la rive nord. On n’a aucune donnée pour les pays africains de la rive sud.
Pour atteindre les objectifs en matière de santé, étendus désormais aux pathologies non transmissibles, telles que les maladies cardio-vasculaires ou le diabète, il faudra aussi mettre en place une surveillance épidémiologique qui n’existe pas aujourd’hui. «Nous avons des indicateurs sur la santé des enfants de 0 à 5 ans ou les femmes enceintes, explique Georgia Damien, médecin et anthropologue au Bénin, mais très peu d’informations sur la santé des hommes de 40 ans.»
C’est aussi ce besoin d’un état de référence qui a conduit Philippe Gillet, de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, à proposer à la Commission européenne le projet Ultimate Earth, avec un collègue britannique.
«L’idée est d’intégrer dans un même modèle de la planète toutes les données dont on dispose: les connaissances sur la Terre interne, la biodiversité, le climat, les ressources, etc., sans oublier les données humaines», explique le chercheur. Sur cette base, on pourrait simuler le futur de la Terre à court et moyen terme, en testant divers scénarios.
Indispensable contexte local
Le deuxième impératif pour atteindre les ODD sera de valider les résultats scientifiques et l’applicabilité des solutions techniques dans chaque contexte local. C’est ce que font par exemple au Mali Ousmane Koita, de l’Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako, et ses collègues. En collaboration avec l’Université d’Etat du Colorado, aux Etats-Unis, ils étudient l’adaptation dans la vallée du Niger d’un complément alimentaire à base de son de riz, déjà testé au Nicaragua pour lutter contre les diarrhées et la malnutrition infantile.
«Nos collègues américains nous ont fourni des échantillons fabriqués à partir de variétés de riz américaines, bien caractérisées, afin de tester l’acceptabilité par la population, dit-il. Ils ont été distribués pendant six mois à 50 familles ayant un enfant de six mois au début de l’étude.» Les résultats du suivi sanitaire de ces enfants sont en cours d’analyse. S’ils sont positifs, les chercheurs maliens étudieront la possibilité d’utiliser des variétés de riz cultivées localement. Notamment, ils vérifieront si la qualité du son peut être améliorée en même temps que le rendement de la production rizicole. Ensuite seulement, ils pourront envisager la création d’une filière de production locale.
Des GIEC du développement durable
La bataille du développement durable se gagnera enfin par la diffusion de l’information. Ainsi, un «mécanisme de facilitation des technologies» est prévu par l’Agenda 2030, pour améliorer l’échange des connaissances et des techniques efficaces et favoriser leur adaptation. Il combine un groupe international d’experts, une conférence annuelle consacrée aux technologies pour le développement et une plateforme internet.
Plus généralement, des groupes d’experts se constituent, à l’instar du GIEC pour le climat, afin de réfléchir à des thématiques spécifiques. Le Panel d’experts de haut niveau du Conseil de sécurité alimentaire des Nations unies publie depuis plusieurs années des études sur des sujets ciblés. Quant au Panel international sur le progrès social, il prépare un rapport pour 2018. Parmi les questions dont il débat, il en est une dont la formulation est nettement plus simple que la réponse: «Qu’est-ce que le progrès?»
L’appel au privé pour financer les ODD
La mise en œuvre des Objectifs de développement durable (ODD) nécessitera entre 3500 et 5000 milliards de dollars par an. L’aide publique au développement mondiale plafonne à 150 milliards de dollars annuels. Où trouver la différence?
Le dix-septième ODD propose une solution: la participation du secteur privé. «Pour la première fois, la communauté internationale reconnaît une place centrale au secteur privé dans le développement durable, se réjouit Vincent Subilia, de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève, qui intervenait lors de l’école d’été. Pour réaliser les ODD, il ne faut pas uniquement des aides, mais aussi des investissements qui permettent aux pays en développement de créer des entreprises prospères, qui engendreront des emplois.»
A Genève comme à Lausanne, la proximité des organisations internationales est vue par tous les acteurs comme une chance pour établir ce type de partenariats. D’ailleurs, la première expédition organisée par l’Institut polaire suisse, qui partira en décembre prochain, est entièrement financée par des fonds privés.